jeudi 29 novembre 2007

Le Jour des élections

(En avant première pour vous, un article écrit pour Caractères)
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À Moscou la neige fond déjà, le mercure est repassé au dessus de zéro. Certainement un cadeau de Poutine à une semaine des élections de la Douma. Le « Jour des élections » est arrivé, comme le titre le film comique du moment. Et un observateur étranger, adepte de l’humour noir peut en effet trouver cela comique. Car ce cadeau, sous ses airs chaleureux, est empoisonné. Les oreilles et le bout du nez se sentent mieux, certes, mais les pieds pataugent dans la boue accumulée sur les trottoirs et dans les caniveaux. Cela n’empêche pas certains de tenter de battre le pavé, au risque de se faire loger au frais de l’Etat pour quelques jours, mais donnera certainement une excuse à un bon nombre pour rester au sec dimanche.

Sur les panneaux publicitaires de quinze mètres sur trente, comme sur les tracts posés dans les cages d’escalier et les bandeaux suspendus aux dessus des rues, le nom de Poutine a remplacé le Parti Communiste qui s’y trouvait il y a vingt ans. Mais qui s’en plaindrait puisque « le plan de Poutine est la victoire de la Russie ». Depuis qu’il a annoncé qu’il se présentait comme tête de liste pour Moscou on a l’impression que les législatives se sont mues en présidentielle.

Même « Saint Pétersbourg est sur le plan de Poutine ». De quoi parle ce fameux plan ? Personne ne le sait, pas même Zoubkov le nouveau dauphin. Mais qu’importe, Poutine est « beau, fort, en bonne santé et honnête. Pas comme tous les autres du gouvernement ou d’ailleurs qui sont tous des voleurs ». Le jeune étudiant en médecine qui dit cela est-il au courant que, à l’Ouest, on ne le trouve pas si honnête ? Mais même s’il le savait, le croirait-il ? Poutine a bien dit qu’il voulait une « démocratie souveraine » pour la Russie, donc une démocratie qui se fiche et se méfie même des avis des donneurs de leçon européens, comme cet impétueux président français. C’est pourquoi il trouve comique, que des observateurs internationaux envisagent de venir surveiller les élections.

Et effectivement, mieux vaut en rire, puisque tout est déjà décidé, il n’y a plus que cela à faire. Et Anna Politovskaïa ne se retournera même pas dans sa tombe, quand les résultats seront annoncés, elle les connaissait avant même d’être assassinée.

Un jour, un professeur d’Histoire et de Géographie a dit devant sa classe endormie et dos à une carte de Russie que ce pays était tellement vaste qu’il lui fallait un dirigeant autoritaire. C’est bien du plus grand pays du monde que l’on parle. Un pays qui va de l’Europe à l’Asie, qui gèle en Nouvelle Zemblée et brûle dans le Caucase et où les gouverneurs dirigent leurs Oblasts comme des féodaux. Les lettres et les colis venus d’Europe ne passent pas la douane, alors comment voulez vous que les idées libérales rejoignent le Kamtchatka ?

La Russie a choisi Poutine, deux fois et veut le garder. Les russes n’aiment pas le changement, ils n’y sont pas habitués. Et l’on peut les comprendre. Quand vous êtes privés du besoin et du droit de prendre des décisions pendant soixante-dix ans, vous perdez l’habitude. Le choix, c’est comme tout, ça s’oublie. Et puis après tout, la Russie va mieux depuis que l’on est entré dans ce nouveau siècle, les étrangers investissent, les salaires augmentent, les milliardaires jouent dans les casinos et les autres regardent les vitrines.

Il fut un temps où tout le monde s’intéressait à la Douma, quand les chars tirèrent dessus. Maintenant que la Maison Blanche est réparée, on la laisse dormir, au bord de la Moskva et lorsque l’on passe devant, c’est seulement pour aller visiter le Zoo ou faire du shopping sur la place de l’Europe.

Mais si un Russe un peu plus motivé que les autres, décide de se rendre aux urnes, quelle case cochera t’il ? La numéro 10, pour Russie Unie, ou celle du Parti citoyen qui se veut écologique, dans un pays où l’ont laisse le chauffage à fond et les ordures s’accumuler dans les forêts ? Ou encore celle de Russie Juste, mais quelle est la différence avec Russie Unie ? Celle de l’opposition peut-être, dont le programme se limite à être contre Poutine. À moins que son sursaut de citoyenneté, encouragé par les publicités dans le métro ne vienne de son nationalisme. Ou alors, reste t-il nostalgique du Parti Communiste, dont les militants se protègent de ceux de Russie Unie en disant qu’ils ne sont pas un parti ?

La neige retombera sur Moscou, et quand viendra le dégel un nouveau président aura été élu, démocratiquement et souverainement, par les Russes qui regrettent Poutine et par ceux qui ne vivent que pour le haïr. Mais qu’ils se rassurent tous, d’autres hivers passeront et Vladimir Vladimirovitch Poutine sera toujours là. Après tout, il a un plan, et tous les russes sont dessus, alors il faut bien qu’il l’applique. Et puis quatre ans, cela passe vite, 2012 est déjà au bout de la stalactite.
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Voilà les photos :

Tu es sur le plan de Poutine : Formation, Travail, Logement
Russie Juste

Russie Unie

Le plan de Poutine est la victoire de la Russie

Russie Juste (au masculin)

Sur le plan de Poutine : Je, Tu, Nous

Parti Citoyen

Sur le plan de Poutine est la force de Petersbourg (je ne suis pas trop süre pour la traduction)

Et le mot du jour : Выбор (vibor) = le choix

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Solène, bravo

Hélène a dit…

Bouh j'aime pas les Russes... (réflèxe polonais)

Anonyme a dit…

Bravo, reportage intéressant. C bien d'avoir une vue de l'intérieur. Et puis les panneaux électoraux sont puissant de simplicité, très épurés...(trop peut-être?)